Quelle pédagogie pour le parfum?

16 février 2010 at 12:53 (Parfum et Musique) (, , , , , , , , , , , , , , , )

Chose promise, chose due! Voici mon « rapport » de la dernière conférence orchestrée par Marie-Anouch Sarkissian à la Sorbonne lundi 01 février!

« Quelle pédagogie pour le parfum? » est la conférence clôturant avec brio le cycle Parfum et Musique initié en juin 2009. J’espère d’ailleurs que Marie-Anouch poursuivra ses recherches et nous fera à nouveau part de ses réflexions prochainement!

J’ai beaucoup apprécié cette conférence car son approche à la fois universitaire et « entrepreneurial » nous a permis d’appréhender le thème Arts et Parfum sous différentes facettes. Marie-Anouch a eu l’excellente idée d’inviter Madame Barbara Le Portz, Directrice Générale de Fragrance Intelligence. A travers son intervention, Mme Le Portz a souligné l’importance capitale des échanges fréquents entre artistes et parfumeurs et de leur influence bénéfique sur le travail des uns et des autres.

Les rencontres qu’elle organise régulièrement favorisent le rapprochement entre peintres, sculpteurs, musiciens et parfumeurs. Mme Le Portz encourage les artistes à étendre leur champ de création en allant à la découverte d’autres disciplines artistiques. Les rencontres entre peintres, sculpteurs, musiciens, et écrivains existent déjà depuis longtemps mais les parfumeurs y étaient plus ou moins exclus car le parfum a longtemps été considéré comme un art mineur voire une activité industrielle tout simplement. Mme Le Portz a contribué à restituer le statut du parfumeur en initiant des projets rassemblant artistes et parfumeurs.

Ainsi a-t-elle notamment eu l’idée de demander à des parfumeurs de créer librement des compositions olfactives en s’inspirant d’une oeuvre d’art. Une expérience particulièrement forte a été la création de parfums à partir de sculptures de l’artiste Claudine Drai. Nous avons eu le plaisir de pouvoir découvrir des parfums comme « Spinale » et « Présence ». J’ai personnellement été frappée par ces deux créations et la force olfactive qu’elles en dégageaient. J’aurais aimé pouvoir confronter directement sculpture et parfum pour essayer de percevoir ce que le parfumeur a ressenti en créant le parfum inspiré de l’oeuvre d’art. Mais même en absolu, le parfum « Spinale » par exemple a quelque chose de captivant. Je me suis surprise à vouloir humer le parfum en continu, à l’aspirer en moi, à me l’approprier complètement. C’est un parfum très frais et métallique à la fois. En le sentant, il me semble inspirer l’essence vitale. Spinale, la colonne vertébrale, ce qui soutient notre corps et la vie en lui? C’est effectivement ce que je ressens.

J’aimerais beaucoup pouvoir assister à ce genre d’expériences et de rencontres inter-artistiques. C’est hautement fascinant et stimulant!

Mme Le Portz nous a également fait part d’une expérience faite avec Claudine Drai autour du parfum Flower By Kenzo. L’idée était de sentir le parfum et d’écrire tout ce à quoi il vous faisait penser et vous inspirait. Mme Le Portz et Mme Drai ont séparément noté leurs impressions et les ont comparé par la suite. Si le choix des mots et le style d’écriture varient, les sensations, les images et les émotions évoquées se ressemblent beaucoup. Le parfum Flower leur inspire la fraicheur, l’innocence, la pureté d’un côté, et la sensualité, la féminité, l’érotisme de l’autre côté. Un parfum de peau. Un parfum intime et intimiste. Un parfum cocoon, un parfum d’essence de vie… Il était intéressant de pouvoir retracer ces impressions émanant de deux femmes différentes. La lecture de leurs textes nous plonge dans l’univers du parfum et de ses évocations. Depuis cette rencontre, je perçois le parfum Flower complètement différemment. Il est vrai que je n’ai jamais fait que le sentir rapidement, je ne suis jamais allée à sa découverte comme l’ont pu faire Mme Drai et Mme Le Portz.

Il serait d’ailleurs intéressant de donner ce genre d’exercice à faire à son entourage, passionné de parfum ou non, et de récolter leurs impressions et analyses.

Je ne vous citerai pas tous les exemples de rencontres inter-artistiques donnés par Mme Le Portz, mais la confrontation entre Sculpture et Parfum, Musique et Parfum et Peinture et Parfum qu’elle a provoquée, est intriguante et passionnante à la fois. Ce sont ces rencontres qui nous inspirent le plus. J’aime bien comparer ces rencontres inter-artistiques avec les rencontres inter-culturelles. Ceux qui me connaissent savent mon intérêt pour les cultures étrangères et ma passion des voyages. Je n’ai jamais été aussi inspirée que lorsque j’ai fait la connaissance de personnes issues d’une autre culture que la mienne. Les rencontres et les voyages ont façonné mon esprit et ma personnalité. La diversité culturelle m’a incroyablement enrichie. A tel point d’ailleurs, que le manque de cette confrontation avec l’autre, l’inconnu et l’étranger, provoque en moi un vide.

Pour revenir à la conférence, après que Barbara Le Portz nous ait détaillé ces merveilleuses expériences, Marie-Anouch Sarkissian a repris le relais pour nous faire part de son analyse portant sur la comparaison entre langage du parfum et langage des arts. Elle nous a exposé différentes théories prouvant ou contredisant la similitude entre vocabulaire parfumé et musical par exemple. Certains exemples ayant été évoqués lors de ses précédentes conférences (Septimus Piesse et son traité sur « L’art oublié du parfum », Edmond Roudnistka dans « Esthétique de l’Odorat » etc), je ne m’étendrai pas sur ce sujet. Je souhaite toutefois vous parler du concert parfumé, autre sujet abordé lors de cette conférence.

Marie-Anouch nous a cité un extrait du livre d’Aldous Huxley « Le meilleur du monde » évoquant un concert parfumé imaginaire. Je vous fait part ici de l’extrait en question:

« L’orgue à parfums jouait un Capriccio des Herbes délicieusement frais, des arpèges cascadants de thym et de lavande, de romarin, de basilic, de myrte, d’estragon ; une série de modulations audacieuses passant par tous les tons d’épices, jusque dans l’ambre gris ; et une lente marche inverse, par le bois de santal, le camphre, le cèdre et le foin frais fauché avec des touches subtiles, par moments, de notes discordantes – une bouffée de pâté de rognons, le plus mince soupçon de fumier de porc,  pour revenir aux aromates simples sur lesquels le morceau avait débuté. Le dernier éclat de thym s’estompa ; il y eut un bruit d’applaudissements ; les lumières se rallumèrent. »

Marie-Anouch utilise cet extrait pour illustrer la similitude entre langage musical et langage parfumé.

Par ailleurs, pour illustrer le concept de concert parfumé, Mlle Sarkissian nous a projeté l’enregistrement d’un concert parfumé de 1989 orchestré par Martin Gras, compositeur de parfum et Louis Dunoyer de Ségonzac, compositeur de musique.

En conclusion, Marie-Anouch a voulu, à travers cette conférence dédiée à la pédagogie des parfums, nous convaincre de l’utilité voire de la nécessité d’introduire l’apprentissage de disciplines artistiques, ou du moins de leur Histoire, dans le programme de formation d’un parfumeur. En effet, elle nous a brillamment exposé à travers de multiples exemples, de l’importance de la confrontation entre les différentes disciplines et des rencontres interartistiques. Grâce à ces interactions entre les différents univers de l’art, les acteurs s’influencent mutuellement, étendent leur champ de connaissance et de culture et par conséquence disposent d’une palette beaucoup plus fournie d’instruments de création.

Sans être artiste, j’ai toujours été convaincue de la nécessité de cet apprentissage inter-disciplinaire et la conférence de Marie-Anouch Sarkissian n’a fait que renforcer cette conviction et cette envie d’aller vers l’autre quel que soit d’ailleurs son domaine d’activité. Tout un chacun peut nous influencer ou nous inspirer à travers ses expériences de vie. L’ouverture du coeur et de l’esprit ne peut qu’engendrer des conséquences positives, que ce soit dans le domaine de l’art, de la culture, ou tout simplement dans les relations inter-personnelles.

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